Réclames

Réclames

 

 

La réclame, en anglais Catchword, est un mode de repérage de l'ordre des feuillets et des cahiers destiné au relieur, afin de les organiser correctement. Le procédé consiste à reproduire, sous le texte du verso d'un feuillet le premier mot du recto suivant. Ce procédé était déjà pratiqué dans le livre manuscrit. Sa première utilisation repérée dans un imprimé remonte à 1470, à Venise, où l'imprimeur Wendelin de Spire introduisit une réclame au verso de chaque feuillet de son édition princeps de Tacite.

Selon les lieux et les époques, on peut trouver des réclames de colonne à colonne, de page à page, de page à page sauf sur celles portant une signature, de feuillet à feuillet au verso de chaque feuillet, d'un cahier à l'autre (au dernier verso du cahier), enfin il peut exister des impressions sans réclame.

Dans l'aire française au XVIIIe siècle, c'est la réclame de cahier à cahier qui est la plus fréquente.

De même, on pourra trouver des réclames composées d'un mot entier, avec ou sans sa ponctuation (souvent la virgule qui le suit dans le texte), ou seulement sa première syllabe.

Ces indications, de même que le positionnement de la réclame (au-dessus ou au-dessous des notes éventuelles, ou présence sur la même page d'une réclame pour le texte et d'une seconde réclame pour les notes) sont pour le bibliographe autant d'indices qui vont permettre de déterminer la zone géographique de fabrication d'un livre imprimé sous fausse adresse.

 

 

 

 

Cette édition anglaise du XVIIIe siècle présente des réclames de page à page

 

 

 

Cette édition amstelodamoise de Jean-Jacques Rousseau par Marc-Michel Rey présente des réclames de cahier à cahier (ici au verso du dernier feuillet du cahier A, alors que la signature du prmier recto du cahier B est visible sur la page de droite), mais avec une réclame pour le texte, et une seconde réclame pour les notes infrapaginales.

 

 

Cette édition de 1688 faite à Ratisbonne présente des réclames de page à page. On remarquera, sur la page de gauche, l'utilisation d'une abréviation médiévale : núsq;  / núsque

 

 

 

Cette édition milanaise de 1748 présente une réclame de page à page. On remarquera, sur la page de droite, que la réclame et la signature sont positionnées au-dessus des notes infrapaginales.

 

On consultera, avec profit, la rubrique "Catchwords" de l'article de R. A. SAYCE, "Compositorial Pratices and the Localization of Printed Books 1530-1800", The Library, 5th Series, vol. XXI, n° 1, March 1966, p. 1-45. Cet article a été réédité en 1979 par l'Oxford Bibliographical Society.

 

 

Les informations suivantes en sont extraites :

 

1) Réclames de page à page :

Les premiers cas connus sont Bâle (1521) et Anvers (1525).

En Allemagne, cette pratique est attestée depuis 1530 (Mayence), puis dans d'autres villes (Wittenberg 1534, Francfort 1597...). C'est une pratique courante aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le dernier cas est attesté en 1798.

En Italie, cette pratique est employée dans certaines villes depuis le milieu du XVIe siècle, et pas dans d'autres. Le premier cas connu l'est à Parme en 1552, et le dernier à Naples en 1796. Les exemples vénitiens vont de 1554 à 1788. D'autres exemples sont signalés assez tôt : Palerme 1558, Florence 1564, Rome 1570.

C'est une pratique courante en Hollande de 1575 (Leyde) à la fin du XVIIIe siècle (Amsterdam 1799).

Le même phénomène se rencontre en Grande-Bretagne  de 1534 à 1798 (Londres).

Des exemples isolés sont connus de Saragosse (1555) à Barcelone (1796), et en Scandinavie de Copenhague (1631) à Stockholm (1786).

En France, cet usage est très rare. On connait quelques exemples parisiens isolés, dont certains douteux. A Lyon, en revanche, la réclame de page à page est majoritaire de 1532 à 1676, avant l'introduction des pratiques parisiennes.

En Belgique, Anvers suit les usages hollandais. Louvain (1549-1705) et Gand (XVIIe siècle) l'imitent. Bruxelles (1658-1731) et Liège (1667, 16698) l'utilisent à l'occasion.

En Suisse, elle est très fréquente à Bâle (1521-1679). On la trouve aussi à Zürich (1556-1670). En revanche, elle est très rare à Genève bien qu'on connaisse quelques exceptions pour la période 1540-1753. A Lausanne, on la rencontre de temps en temps entre 1691 et 1765. On ne connaît qu'un cas neuchâtelois (1744).

Le fait d'utiliser deux réclames sur la même page, l'une pour le texte, l'autre pour les notes, est caractéristique des pratiques hollandaises, même si on connait quelques cas isolés en Italie et en Angleterre.

L'usage de la réclame page à page signale dans tous les cas une édition non parisienne, et non française si elle st postérieure à 1680.

 

2) Réclames de page à page, sauf sur celles portant des signatures

Cet usage caractérise le XVIe siècle, et est majoritairement lyonnais bien qu'on connaisse quelques autres exemples français (Tournon 1616), bâlois (1550-1645). On connait deux exemples genevois (1563, 1701), un hollandais (1599), et quatre allemands (Francfort 1543, Strasbourg 1570 et 1617, Cologne 1609). Cette pratique ne se rencontre jamais à Paris.

 

3) Réclames de feuillet à feuillet

 

Cette façon de faire caractérise le XVIe siècle et le début du XVIIe siècle. Le premier exemple connu est vénitien (1516), mais cet usage est rare ensuite en Italie : Bologne (1523), Florence (1550, 1552), Venise (1563). On le trouve attesté à Lyon de 1518 à 1600, et à Paris de 1551 à 1651 bien qu'il se raréfie après 1610. On trouve d'autres cas à Rouen (1583), Orléans (1604, 1620), Maillé (1616, 1619). Cette pratique est très rare en Hollande, même si on signale quelques cas : Franeker (1586, 1594), Leyde (1602, 1609), Amsterdam (1626). Elle est commune en Allemagne, en particulier à Francfort de 1549 à 1625). et pour quelques années à Hanau ( 1602-1619). On la trouve occasionnellement à Tübingen (1533), Strasbourg (1595), Cologne (1603), Herborn (1613), et tardivement à Leipzig (1655, 1691). On connait quelques exemples londonniens du dernier quart du XVIe siècle (1579-1600).

Les cas les plus fréquents sont suisses. On en trouve des exemples à Bâle de 1534 à 1584, et Zürich de 1558 à 1592. C'est la pratique la plus courante à Genève de 1546 à 1658.

En dehors du cas de Leipzig signalé plus haut, Tous ceux qui sont postérieurs à 1625 suggèrent une impression genevoise.

 

4) Les réclames de cahier à cahier (= Quire-catchwords)

 

Bien que d'origine italienne, cette pratique est essentiellement parisienne, de 1551 à 1799. Elle est également attestée dans les provinces françaises, même si toutes ne la respectent pas. La principale exception est Lyon, où la réclame de cahier à cahier n'est utilisée que de 1678 à 1780.

En Suisse, cette pratique est rare avant le XVIIIe siècle, elle y devient commune après 1750 : Lausanne (1747-1796), Genève (1758-1782), Neuchâtel (1777-1787), Bâle (1797).

En Belgique, on connait deux exemples à Anvers 1530, 1656), les autres datent du XVIIIe siècle : Bruxelles (1702, 1788), Bouillon (1770), Liège (1777, 1787).

Dans les autres pays, la situation est plus compliquée. En Italie, cette pratique est attestée au XVIe siècle avant l'usage de la réclame de page à page. En Allemagne, on ne connait que quelques cas isolés avant 1750, l'usage en devient plus fréquent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. En Hollande, on connait quelqures cas douteux antérieurs à 1750. Après 1750, l'usage en devient plus courant, en particulier à partir des impressions amstellodamoises de Marc-Michel Rey des années 1762 et postérieures. Il est attesté à Amsterdam (1751-1785), Dordrecht (1769), La Haie (1776), Maastricht (1779), Leyde (1779, 1784). On ne connait qu'un cas écossais (Glasgow 1754), et aucun exemple espagnol.

L'usage de la réclame de cahier à cahier suggère une forte présomption d'impression parisienne, ou d'une région sous influence parisienne à partir de 1570 (des années 1680 pour Lyon), jusque vers 1760. Après 1760, cette présomption diminue, cette pratique tendant à se généraliser jusqu'à sa disparition vers 1790.

 

5) L'absence de réclames

 

A toutes les époques, certains ouvrages comportant des planches (livres d'architecture, de géographie, de mathématiques...) sont dépourvus de réclames.

Ces cas exceptés, l'absence de réclame est courante dans les livres parisiens du XVIe siècle (1512-1557) et en particulier dans deux de la dynastie Estienne. On trouve aussi des cas à Poitiers (1550), Caen (1562), Bordeaux (1574), et hors de France à Anvers (1538), Barcelone (1543), et Genève (1553, 1560).

Cette pratique réapparait au XVIIIe siècle dans un but de simplification préparant les pratiques du XIXe siècle. Le premier cas connu l'est à Glasgow en 1748). On en connait d'autres à Dublin (1763), Londres (1799). Sur le continent, la première occurrence est parisienne : le Manuel typographique de Fournier (1764, 1766).  D'autres exemples parisiens sont plus tardifs (1798, 1799). Des cas sont attestés en Allemagne à Leipzig (1783, 1796) et Meissen (1788). en Italie à Sassari (1774), Bologne (1787) et Parme (1795).

Au XVIe siècle, l'absence de réclames suggère une impression parisienne, en particulier des Estienne... y compris peut-être certaines de leurs impressions genevoises. Au XVIIIe siècle, on trouve de rares cas d'anticipation des pratiques du siècle suivant, plus que des pratiques locales caractérisées.

 

 

© Dominique Varry 2011 Introduction à la bibliographie matérielle